Densifier ? Y a qu’à…

Face à la croissance démographique et à l’extension continue des surfaces urbanisées, les collectivités publiques sont amenées à chercher une utilisation plus rationnelle du sol, en adéquation avec un développement durable du territoire. Le principe, aujourd’hui admis, est le développement vers l’intérieur des zones urbanisées. Concrètement, cette densification légitime du milieu bâti permet de rationaliser les équipements publics, d’optimiser l’utilisation des transports en commun, d’aménager des espaces publics, de rendre les commerces viables ainsi que de répondre à des évolutions sociétales (augmentation du taux de divorce, vieillissement de la population, évolution des modes de vie, etc.). Là où la densité est trop faible, la densification est aussi un moyen d’améliorer le « vivre ensemble ». A ce titre, elle est un pas nécessaire pour permettre à l’urbanisation du XXe siècle de se compléter, de gagner en maturité ainsi qu’en « urbanité ».

Au-delà de la simple logique mathématique « croissance = accueillir plus de monde = construire », densifier implique généralement de se confronter à notre patrimoine, en général récent, et ainsi à des principes urbanistiques éculés (ségrégation spatiale, zoning, négation de la rue, faible densité, etc.) qui sont souvent en totale contradiction avec les principes du développement durable. La densification doit donc être l’occasion d’améliorer voire de corriger le cadre de vie urbain.

Tout cela est théoriquement parfait mais encore faut-il y parvenir.

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Des grandes opérations à la densification diffuse

Tout d’abord il convient de distinguer la densification diffuse des grandes opérations sur des terrains à urbaniser (friches, développements-extensions, etc.). La densification de grands secteurs se fait au gré de mutations urbaines, souvent liés à la désaffectation de périmètres importants, constitués en général de grandes parcelles appartenant à des propriétaires institutionnels ou des collectivités publiques. Toute proportion gardée, elle a de nombreux points communs avec des processus de création de villes nouvelles.

La densification diffuse se caractérise par la petite échelle, la complexité et la diversité des situations. Les parcelles sont en général déjà bâties et habitées, de petites tailles, de formes « biscornues », entremêlées, morcelées, etc. Les frottements avec des secteurs bâtis sont nombreux, c’est pourquoi ces processus se caractérisent par la lenteur et des risques d’échec importants.

Pour des raisons de simplicité, de rapidité et d’efficacité, les propriétaires immobiliers et les collectivités publiques préfèrent en général la densification de grands secteurs, après avoir effectué une rapide pesée d’intérêts entre la somme des surfaces créées, le temps et l’argent nécessaires à développer leurs projets.

Mais ces réserves de « projets faciles » vont se tarir et les mesures d’austérité de la LAT vont commencer à produire leurs effets, c’est pourquoi il est temps d’affronter la densification diffuse et ses risques !

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Les risques de la densification

La densification comporte des risques qu’il est nécessaire de connaitre pour parvenir à réaliser les projets. La liste ci-dessous n’est certainement pas exhaustive, mais elle permet de se pencher sur quelques problèmes récurrents.

La densification implique un changement. Par craintes de l’inconnu, du pire, de la protection des acquis, la première réaction des voisins – naturelle – est plutôt la méfiance voire le rejet. C’est la composante « NIMBY » (Not In My Backyard), la défense de ses propres intérêts au dépend de ceux de la collectivité.

La densification peut réduire le parc d’appartements bon marché. En effet, il n’est pas rare qu’elle s’accompagne de rénovation ou de transformations du parc locatif pouvant avoir pour but l’augmentation des loyer par une amélioration du standard des logements ou la vente en PPE d’appartements  précédemment loués. Selon les cantons, un cadre légal encadre ces conséquences sur le parc locatif. Les locataires se mobilisent alors pour la protection du parc locatif et le respect du droit du bail.

La densification peut menacer le patrimoine naturel et bâti. De plus en plus de personnes et de collectivités s’opposent à une péjoration de l’environnement naturel et construit en posant des questions de fond sur le rapport au bâti existant : assainissement, règles urbanistiques contradictoires, esthétique, etc. Il s’agit aussi d’une réaction légitime à certains excès symptomatiques. Cela pose aussi une question de fond sur la définition du patrimoine, à laquelle on répond souvent de façon simpliste : « le patrimoine, c’est ce qui est vieux… ».

La densification pose d’importantes questions de gestion des stationnements. Cet aspect est souvent ambivalent. Les habitants concernés revendiquent d’une part une limitation des voitures appartenant à autrui, au nom de la sécurité, de la lutte contre le bruit et de la pollution. D’autre part, ils militent en faveur de leur propre confort, en défendant les places de stationnement à proximité de chez eux.

Quelques conseils issus de la pratique

On le voit, les motivations des opposants sont diverses, certaines mues par des intérêts individuels voire égoïstes, d’autres tout à fait légitimes, car cherchant à défendre le bien commun. Même si certains milieux et associations regroupent tous les « anti- » (-changement, -croissance, -béton, -tour, etc.), on aurait tort de les mettre dans le même panier. Malgré leurs motivations disparates, ils se regroupent et s’organisent pour se défendre et/ou défendre leurs intérêts. Il faut donc répondre avec des arguments sérieux et ne pas se limiter à « vendre » les projets.

Alors comment faire ? Voici donc en vrac quelques conseils – certainement pas exhaustifs – aidant à anticiper quelques problèmes récurrents…

Premier conseil : communiquer efficacement. Nombreux sont les fantasmes et idées préconçues autour de la densité et de la densification. S’il s’agit d’une problématique largement connue des milieux spécialisés, il n’en va pas de même du public dont le préjugé initial est souvent le suivant : « Dense, c’est mal ! ». D’ailleurs, la densité est une notion plus relative qu’il n’y parait, ce qui n’aide pas à s’y retrouver. C’est pourquoi, un effort de communication est nécessaire dans le but de préciser clairement l’ensemble des notions concernant la densité et la densification : Dense, mais combien ? Parle-t-on de surfaces ou de personnes ? Est-ce que la densité implique de construire des tours ? Peut-on tout densifier de la même manière ? C’est pourquoi un enjeu majeur réside dans la définition des densités et de la densification.

A défaut de bonne communication, il est préférable de se passer de tout discours sur la densité et d’éviter de se justifier par l’argument suivant, souvent désastreux auprès de la population : « C’est l’ARE qui le dit »…

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Second conseil : viser une meilleure qualité avant d’être plus dense. Faire plus dense ne veut pas dire faire trop dense. Entre Houston (13,48 hab/ha, 2010) et la « Walled City » de Kowloon à Hong Kong (19'230 hab/ha, 1987), il y a de la marge ! La densité doit être un critère de qualité car le « trop dense » amène aussi des problèmes de qualité de vie. Il faut donc ajouter à la densité son frère siamois qui est la qualité. Or la qualité est aussi difficile à définir que la densité et surtout il n’y a pas de réponse toute faite et unanime. Les critères de qualité sont aujourd’hui encore très influencés par le « modernisme ». Or, par nature, la densification du milieu bâti postule le dépassement de ces critères pour de nouvelles considérations qui ne sont pas encore totalement entrées dans les mœurs. La densification ne se fera donc pas sans un large débat sur la qualité et sans la définition d’un système de valeur commun.

Troisième conseil : négocier une valeur ajoutée. Parfois à juste titre, la densification est perçue exclusivement comme une augmentation des profits pour le promoteur. Si la densification est avantageuse pour la collectivité par une meilleure utilisation des ressources (partage des équipements publics, fiscalité, etc.), ce n’est pas une évidence pour le voisinage direct qui n’en perçoit que les nuisances. Les projets doivent donc intégrer une valeur ajoutée à la petite échelle, compensant les impacts négatifs et tenant compte des problèmes réels et quotidiens du quartier.

Par la maitrise des droits à bâtir, la collectivité est directement impliquée dans des processus longs et coûteux. Elle a aussi la responsabilité de la cohérence du résultat dans sa globalité, ce qui échappera plus généralement au promoteur. Face aux appétits des propriétaires, la collectivité doit faire valoir ses intérêts et ceux du voisinage. La difficulté de l’exercice est de savoir doser avec pragmatisme l’équilibre entre les intérêts en présence…

Quatrième conseil : initier des procédures participatives avant le projet. Pour réaliser un projet qui réponde aux attentes de la population, il est nécessaire de s’adresser à celle-ci ! La démarche participative doit porter essentiellement sur les améliorations attendues en matière de services, d’équipements publics, d’aménagement des espaces collectifs et des espaces publics. Pour l’alimenter réellement, elle doit précéder le projet, sinon elle se limite à une simple démarche informative.  

La population doit être prise au sérieux, sans paternalisme, autoritarisme ou mépris. La participation ne devrait pas être le lieu d’un rapport de force, qui peut apparaître plus tard lors de l’adoption du projet et des processus de décision. Tenter la prise d’otage discrédite l’ensemble des démarches – y compris celles qui ne sont pas alibi – et se révèle être un coup de poker risqué. Cela risque d’établir une méfiance durable de la population envers l’ensemble des acteurs impliqués (politiques, promoteurs, urbanistes, architectes). 

Dans le cadre de la démarche participative, la collectivité et les promoteurs doivent répondre aux questions qui fâchent et aux craintes légitimes de la population, mentionnées ci-dessus : changement du cadre bâti, redéfinition des loyers, préservation du patrimoine naturel et bâti, politique de stationnement.

Cinquième conseil : prendre le temps. La participation, la prise en compte de tous les intérêts en jeu, la négociation, tout cela prend du temps et il faut l’accepter. Là encore, il est néfaste de faire du chantage à la durée ou de lancer des ultimatums (en particulier lorsque ils ne sont pas crédibles). Cela peut renforcer l’opposition par principe, justifiée par le rapport de confiance rompu entre la population et les représentants politiques ou l’administration. De plus, un temps relativement long est nécessaire pour que la population puisse se faire à l’idée d’un projet. Vouloir aller trop vite se traduit très souvent par une perte de temps, au final, considérable.

Sixième conseil : coordonner avec les politiques publiques. La densification peut avoir des répercussions plus ou moins importantes sur différentes tâches de la collectivité publique. Il est donc important que cette dernière évalue les projets en fonction de ses diverses politiques et anticipe les mesures à prendre en matière de fiscalité, de politique foncière, de planifications supérieures (plan directeur, affectations), de politique du stationnement, d’équipements publics (écoles, crèches, EMS) ainsi que d’aménagements et de conception des espaces publics.

Une incitation à la modestie des acteurs

En définitive, la densification impose de de faire preuve de modestie. Comme dans tout processus de longue haleine, il est nécessaire d’accepter la part non maitrisable. On ne peut en effet garantir le succès d’une entreprise dont on ne maitrise pas tous les tenants et aboutissants : avis inconciliables, parties prenantes nombreuses et peu « durables », prises d’otage politique, etc. Les responsables politiques d’aujourd’hui sont confrontés à ce défi ; ne pas le relever serait irresponsable. Et il n’est pas dit que l’inaction soit payante lors des prochaines échéances électorales…

 

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